Procès choc autour de notaires accusés d’avoir profité de retraitées malades : la justice va-t-elle condamner ?
Quand la signature d’un viager devient une affaire d’État
Tout commence par un geste qui semble anodin : une signature, celle qui marque la vente d’une maison en viager. Mais ici, le trouble n’a pas tardé à s’installer. Le viager, réputé pour équilibrer le risque et la rente, peut-il réellement résister lorsque ceux censés conseiller deviennent en réalité acquéreurs ? Les notaires, sur le banc des accusés, jurent avoir respecté la loi… mais l’imprudence flotte dans l’air. Les familles s’indignent, le diocèse de Toulouse réclame des comptes et la justice s’interroge : abus ou simple imprudence ?
Deux ventes, deux destins brisés, un parfum de conflit d’intérêts
La première affaire remonte à 2018. Christiane, une retraitée née en 1936, décide de vendre sa maison en viager. Martin, quadragénaire, repère l’annonce sur Leboncoin. L’offre finale s’avère bien en-dessous du prix attendu : le bien, estimé à 250 000 €, part pour seulement 56 000 €, avec des mensualités de 700 €. Cerise sur le gâteau, c’est la vendeuse qui doit payer les travaux de rénovation… Un marché de dupes ? À l’audience, Sophie, qui a participé à la rédaction de l’acte, admet une imprudence : un certificat médical récent ou l’intervention d’un autre rédacteur auraient pu tout changer. Trop tard, hélas, Christiane décède moins de cinq ans après la vente. Résultat sans appel : le couple acquiert une propriété rénovée pour 87 000 €.
L’histoire ne serait pas croustillante sans son lot de contestations : la sœur de Christiane évoque un possible Alzheimer dès 2015 – pas la moindre preuve au dossier, rétorquent les mis en cause. Qui a rédigé quoi ? L’acquéreur prépare le sous-seing, son collègue finalise la chose. Pour la procureure, il y aurait prise illégale d’intérêt. Pour la partie civile, c’est l’absence de conseil indépendant envers la vendeuse qui fait scandale. Les notaires, quant à eux, jouent la carte des usages professionnels.
Un an plus tard, bis repetita et enquêtes à la pelle
L’année suivante, autre triste scénario. Ange, 83 ans, veut vendre. Un rapport médical de 2019 parle d’« altération légère des facultés », et son avocate, Me Jean Iglésis, précise qu’Ange était alitée, souffrant d’insuffisance rénale depuis 2017. La curatelle renforcée n’était pas loin. Malgré tout, l’acte se signe en novembre 2019, pour une valeur visée de 140 000 € (versement initial et rentes comprises). Drame : moins d’un mois plus tard, Ange décède. Le bien revient alors aux acheteurs pour la modique somme de 30 000 €… et la présidente du tribunal s’interroge sur le caractère fortement spéculatif de l’affaire. Les époux défendent leur bonne foi : pour eux, aucune règle n’aurait été bafouée.
Ce deuxième décès fait tache : le diocèse de Toulouse porte plainte. Trois enquêtes sont ouvertes :
- Sanctions disciplinaires prononcées contre le couple par l’ordre professionnel
- Condamnation civile
- Enquête pénale diligentée par la division de la criminalité organisée et spécialisée
Malgré ce remue-ménage, les notaires restent droits dans leurs bottes : procédures régulières, aléa respecté, diligence faite. Mais pour combien de temps encore ?
Justice, où es-tu ? Un procès en équilibre entre imprudence et abus
Pour le parquet, le doute n’est plus permis : l’état de faiblesse des vendeuses saute aux yeux. La procureure requiert :
- Douze mois de prison avec sursis pour Martin
- Six mois avec sursis et 30 000 € d’amende solidaire pour Sophie
- Six mois avec sursis pour Sébastien, officiel public intervenu
La défense, elle, joue la partition du professionnalisme : consultation avec le conseil, légalité scrupuleuse, rien n’aurait été fait sans vérification préalable. Selon leurs avocats, rien ne permet de battre la procédure en brèche : soit les éléments décisifs font défaut, soit ils s’inscrivent dans le cadre classique du viager.
Au cœur de la tempête, la question du conflit d’intérêts reste prégnante. Quand un notaire devient acheteur, où commence la neutralité, où finit la tentation ? Le dossier le rappelle : un certificat médical récent et un conseil indépendant à la vendeuse sont des pare-feu essentiels. Ici, la chronologie des actes pèse très lourd.
Le tribunal devra trancher entre sécurité juridique, aléa du viager et soupçon d’abus. Le secteur du viager, parfois vu comme un eldorado, observe médusé. Familles et professionnels réclament des garanties claires :
- Séparation stricte entre conseil et intérêt personnel du notaire
- Vérification de l’aptitude du vendeur
- Traçabilité des démarches prudentielles
Pour leur défense, les notaires invoquent l’aléa propre au viager. Reste à savoir si la justice retiendra l’abus manifeste ou simplement une imprudence qui, cette fois, pourrait coûter cher.
L’affaire est toujours ouverte. Prochaine audience, prochain verdict : le dénouement dira si le droit triomphe, ou si l’aléa a, une fois de plus, bon dos.
